La substitution tritonique

 

Substitution tritonique de la Dominante

En harmonie tonale, pour des besoins de réharmonisation on utilise fréquemment la technique de la substitution tritonique.

Il s’agit de remplacer l’accord de 5ème degré (Dominante) progressant vers le 1er degré (Tonique) par un autre 5ème degré dont la fondamentale est située à un intervalle de 3 tons de l’accord substitué.

Exemple en Tonalité de C Majeur

Le fichier audio joue G7 –>  C ∆ puis Db7 –> C ∆.

 

Substitution Tritonique et fonction tonale

Nota : Par facilité, toutes les explications ci-après sont données en Tonalité de C Majeur.

Pour rappel, la fonction tonale d’un accord de Dominante est de confirmer la tonalité :

  • La Fondamentale de l’accord de Dominante (note G en C Maj) est très attirée par la Fondamentale de l’accord de Tonique du premier degré (note C en C Maj) dans un mouvement de Quinte descendante (G -> C)
  • La sensible de la gamme (note B en C Maj), présente dans l’accord de Dominante, est attirée par la Fondamentale de l’accord de Tonique du premier degré (note C en C Maj) dans un mouvement de ½ ton ascendant (B -> C)
  • Entre sa Tierce Majeure (note B) et sa Septième mineure (note F), l’accord de Dominante possède un intervalle de 3 tons (triton) qui est très instable et dont la tendance est d’aller vers un intervalle stable (résolution) :
    • La Septième mineure de la Dominante tend à descendre vers la Tierce Majeure de l’accord de Tonique (F -> E)
    • La Tierce Majeure de la Dominante va vers la Fondamentale de l’accord de Tonique (B -> C)

 

Dans la fonction de résolution, la Tierce (note B) et la Septième (note F) de l’accord de Dominante jouent des rôles prépondérants.

Par curiosité, on peut se poser la question de savoir s’il existe d’autres accords avec un intervalle de 3 tons entre la Tierce Majeure et la Septième mineure.

On trouve l’accord de Db7 (5ème degré de Gb Majeur) :

Mais est-ce que Db7 résout sur C ∆ ?

En partageant le même triton, G7 et Db7 ont la même fonction de Dominante et peuvent dès lors s’échanger dans la progression vers l’accord de Tonique.

La tendance de Db7 à résoudre une Quinte en dessous existe (ver Gb ∆), mais la présence de la note Db qui a tendance à résoudre ½ ton plus bas existe également (Db -> C).

De plus, la note Ab a tendance à résoudre ½ ton plus bas, vers la Quinte de l’accord de Tonique (Ab -> G).

Ces caractéristiques concourent à une bonne résolution de Db7 vers C ∆, plus subtile que G7 vers C ∆, du fait que les notes de Db7 bougent au plus d’un ½ ton pour aller vers C ∆.

Les notes Db et Ab n’appartiennent pas à la gamme de C Majeur.

A seulement ½ ton d’une note de la gamme elles sont chromatiques à cette gamme.

Db7 est donc un accord de substitution chromatique du 5ème degré.

 

Par rapport aux tensions de l’accord de Dominante G7 (9è = A ; 13è = E) les notes Ab et Db sont des notes légèrement plus tendues (Ab = b9 et Db = b5).

En les faisant entendre, on joue en dehors de l’harmonie, a un ½ ton d’écart.

La dissonance harmonique savamment maîtrisée est une des caractéristiques du Jazz Moderne.

La pratique d’un jeu ‘out’ au passage sur la Dominante est devenue quasi-systématique pour la plupart des guitaristes à ce jour.

 

Analyse harmonique de la Substitution Tritonique

 

Le mode de 5ème degré tiré de la gamme harmonisée d’une tonalité Majeure est le mode Mixolydien :

Du fait de la neutralité harmonique de la Quinte (qui n’est qu’une harmonique de la Tonique) les notes qui structurent l’accord de Dominante sont :

Les autres notes du mode sont des notes de tension :

Ce sont ces notes de tension que l’on peut altérer (en bémol ou dièse) pour créer encore plus de dissonance à condition de bien réaliser le mouvement de relâchement de ces tensions à l’arrivée sur le 1er degré.

Avec ces altérations, on aboutit au mode altéré qui est très prisé des Jazzmen :

C’est un mode un peu extrême, où il est souvent contre-productif d’en jouer toutes ses notes.

A l’usage, on s’aperçoit que b9 (note Ab) et b5 (note Db) sont les notes de tensions altérées les plus faciles à faire entendre du fait de leur proximité avec la Quinte et la Tonique de l’accord de résolution (C ∆).

En conclusion, si les notes de structure de l’accord de Dominante sont Tierce et Septième et que l’on rajoute les tensions b9 et b5 on obtient l’accord de Db7 :

A retenir

La substitution d’un accord de Dominante par un autre situé à 3 tons de lui préserve la fonction tonale de la Dominante dans une progression V7 vers I ∆ grâce à l’instabilité du triton présent dans les deux accords de Dominante.

L’ajout des tensions altérées b9 et b5 produit une résolution plus subtile mais aussi plus dissonante (bII7 vers I ∆) que la résolution standard (V7 vers I ∆).

Ce remplacement que certains aiment à faire systématiquement, ajoute la petite dose de sophistication qui est un des caractères de la musique Jazz.

Harmoniquement le mode applicable sur l’accord Db7 est le mode altéré de G.

Ce mode démarré à partir de la note Db est désigné sous le nom de mode lydien b7 (ou mode de Bartok) compte tenu de la présence de la #4 :

Par un raccourci ‘spatial’ on peut aussi le mémoriser comme le mode de Db Mixolydien #4 (avec la note G à la place de Gb du mode Db Mixolydien standard).

 

Voicings et dérapages contrôlés

 

En Majeur

Dans la progression harmonique ‘ii . V7 . I’ le remplacement de l’accord de dominante ‘V7’ par un accord de dominante ‘bII7’ présente des éléments singuliers à prendre en compte pour faire évoluer les ‘voix’ du voicing (les notes composantes) dans le passage d’un accord au suivant :

  • Le mouvement des voix dans le passage du bII7 au I ∆ ne présente aucun intervalle supérieur à ½ ton.
  • Les mouvements habituels de résolution entre les accords sont préservés :
    • Le mouvement de la note C vers B au passage de Dm7 vers G7 ou Db7
    • Le mouvement de la note F vers E au passage de Db7 ou G7 vers C ∆
  • Les tensions b9 (note Ab) et b5 (note Db) apparaissant dans Db7 se résolvent sur le ½ ton descendant (vers G et C respectivement)

En mineur

On retrouve les mêmes caractéristiques qu’en Majeur, à ceci près que la Tierce mineure à l’arrivée sur Cm7 (note Eb) est à écart d’un ton par rapport à la Tierce Majeure de Db7 (note F).

La résolution bII7 sur i m7 est également parfaitement opérante.

Etude des voicings

L’étude de ces voicings ouvre un énorme champ de possibilités, tant en accompagnement qu’en solo :

  • Les schémas des voicings à 3 et 4 sons dessinent sur le manche des formes simples et redondantes faciles à mémoriser.
  • Une même figure (pattern) à écart d’un ½ ton autorise la répétition de phrase en décalage d’une case (side-slipping), ce qui est très courant dans le phrasé Jazz.
  • L’harmonie légèrement décalée au passage par le bII7 suffit pour apporter la dissonance nécessaire au renouvellement de ses phrases.

Il est fort à parier que leur étude transformera à jamais votre pratique sur les progressions harmoniques standards.

A ce stade de votre parcours musical, on peut se dispenser de compliquer la présentation des différents voicings en rajoutant des considérations de rythme avec le risque de brouiller l’exposé des principes.

Il n’empêche que dans votre application pratique vous aurez soin de les faire vivre en faisant varier les rythmiques.

Les voicings proposés sont basés sur la Tonalité de C (Majeur ou mineur en fonction du mode) pour que les schémas puissent indiquer, en plus du doigté, les degrés et les notes de chaque voicing.

  • Les notes sont indispensables pour comprendre la cohérence des voix
  • Les degrés servent au repérage visuel et au jeu en position.

Lecture des schémas

Pour rester dans le registre dévolu à la guitare jouée dans un combo et surtout pour limiter le nombre d’occurrences possibles, les exemples de voicings sont donnés sur les cordes :

  • 4 3 2 : registre médium (D G B)
  • 3 2 1 : registre aigu (G B E)

 

Pour une bonne assimilation des voicings, une approche progressive sur 3 niveaux est préconisée.

Compte tenu du nombre de schémas proposés pour chacune des étapes, ces dernières font l’objet d’articles séparés (suivre les liens).

1 – les Triades

On choisit les Triades les plus usitées en privilégiant celles qui présentent les voicings les plus proches d’un accord à l’autre.

Les Triades jouées sur la guitare dessinent des formes simples et facilement mémorisables.

Appliquées en solo, sur les progressions standards, elles constituent un bloc solide à partir duquel on peut construire des lignes de bonne structure harmonique.

 

2 – les Voicings à 3 sons

Du fait que Tierce (Majeure ou mineure) et Septième (Majeure ou mineure) suffisent seules à caractériser un accord, l’adjonction d’une note de coloration permet de créer de nouveaux voicings à 3 sons.

Dans les voicings ci-après, le schéma du V7 est également présenté pour servir de référence sur la position.

Au passage sur la dominante on peut très bien combiner le V7 et bII7 pour développer un jeu plus complet.

 

3 – les Voicings à 4 sons

Avec 4 sons le nombre de possibilités se multiplient.

Les 16 voicings présentés sont subjectivement choisis et correspondent à des doigtés que j’utilise.

 

En pratique

Je suis bien conscient de la quantité d’informations à assimiler.

Dans une bonne pratique, les schémas servent de référence.

Ils servent dans un premier temps de guide à une position et/ou à un son à fournir.

Une bonne assimilation passe par l’emploi de combinaisons et de mélanges qui correspondent à votre jeu.

Dans le jeu en groupe, il est nécessaire de s’entendre (dans les 2 sens du terme) sur l’emploi ou non de la Substitution Tritonique pour éviter que le jeu en dehors de l’harmonie pour un instrument ne se heurte au jeu dans l’harmonie pour un autre.

 

Notation dans l’analyse harmonique

Pour rappel, la relation harmonique entre le V7 et le I ∆ s’écrit comme suit :

La flèche pleine signifie que l’accord de dominante V7 résout sur l’accord de Tonique.

Pour ce qui concerne la Substitution Tritonique, la relation harmonique entre le bII7 et le I ∆ s’écrit :

La flèche en pointillés signifie que l’accord de dominante bII7 résout sur l’accord de Tonique par un autre mouvement que celui d’une Quinte descendante.

 

Sous-dominante et Substitution Tritonique

Devant tout accord de dominante, on peut placer l’accord de sous-dominante de la gamme harmonisée.

Pour la progression ‘ii . V7 . I’ classique c’est l’accord de 2ème degré qui peut se placer devant le 5ème degré. (Dm7 devant G7).

Il en va de même devant Db7 comme accord de dominante (V7 de Gb Majeur). L’accord de 2ème degré est Abm7 (sur lequel on joue habituellement le mode Dorien).

En choisissant d’alourdir le passage par la Tonalité de Gb Majeur, l’oreille s’installe dans une Tonalité éloignée du Centre Tonal qu’il faut rejoindre (C Majeur).

C’est tout à fait possible.

Le virage harmonique n’en sera que plus serré avec une difficulté pour bien servir la résolution.

La plupart du temps, on utilise la sous-dominante de la Tonalité du I et l’accord de dominante de Substitution Tritonique qui présente des altérations nouvelles à résoudre.

Un article précédent (Carré harmonique des ii V7 en Majeur) montre toutes les combinaisons possibles.

Sachez que vous pouvez établir un tableau identique avec les accords en mineur.

 

Tableaux des Substitutions Tritoniques toutes tonalités