Genèse et évolution des grilles de Blues

Genèse

Le Blues 12 mesures possède une structure bien précise, articulée autour de 3 pôles harmoniques :

  • le degré I
  • le degré IV
  • le degré V

Nota : Les grilles sont présentées en degrés harmoniques sur la partie gauche et transposées en tonalité de C sur la partie droite.

Né du chant de travail (Holler), il est cyclique par nature et conçu comme un système ‘Question-Réponse’ pour exprimer l’effort ou la peine.

En introduisant un retour à la Tonalité du I après chaque degré, on obtient 6 découpes de ‘Questions-Réponses’

Pour avoir le temps d’exprimer son propos, il suffit alors de dédoubler la séquence qui s’allonge après coup sur 12 mesures

La structure stricte du Blues à 12 mesures est apparue lorsque les musiciens ont commencé à jouer en orchestre. En effet, auparavant, les chanteurs de Blues s’accompagnant seul à la guitare se souciaient peu du nombre de mesures.

Blues traditionnel

A l’harmonie de cette forme primitive (sans péjoration) se confronte la mélodie du Blues qui emploie ses ‘Blue notes’ {b3, b5, b7} pour infléchir la rudesse du discours en Majeur.

En ajoutant une Septième mineure (b7) à une Triade Majeure {T, 3, 5} on constitue un accord de Septième de dominante

Ce faisant, on fait naître, entre la Tierce et la Septième mineure, un intervalle de 3 tons qui est particulièrement instable.

Si cet accord se dirige vers un autre accord dont la Fondamentale est une Quinte Juste en dessous on parle alors de résolution (retour vers une certaine stabilité harmonique)

Dans la structure Blues, on trouve deux emplacements où cette résolution peut intervenir (signalée par une flèche) :

  • du degré I vers le degré IV
  • du degré V en retour vers le degré I

Le rajout d’une septième mineure sur les degrés IV et V fortifie également l’instabilité de ces derniers avant le retour vers le degré I.

Blues et Jazz

Blues et Jazz ont suivi des voies parallèles d’évolution en s’influençant l’un l’autre au gré des modes musicales tout au long du siècle dernier.

Mon propos n’est pas d’en décrire l’histoire, mais plutôt de dégager les principaux apports faits au Blues par toutes les grandes figures du Jazz qui n’ont jamais renier son importance dans leur jeu.

Swing

L’époque swing apporte les premières démarcations avec le Blues traditionnel :

  • l’accord I6 utilisé sur les 3 premières mesures et sa transformation en I7 à la quatrième, renforce la transition vers le degré IV.
  • remarquez comment l’accord  ivm6 connecte le IV6 au I6 aux mesures 5, 6, 7
  • un simple turnaround I6V7 aux mesures 11 et 12

A partir de là, on voit apparaître des changements durables dans la grille :

  • à la seconde mesure, on introduit l’accord de sous-dominante (degré IV) pour rompre la monotonie de l’accord de Tonique (degré I) des 4 premières mesures.
  • à la huitième mesure, on substitue à l’accord de Tonique, son sixième degré en le ‘majorisant’ (en se ‘majorisant’ il devient la dominante secondaire du degré II)
  • à la neuvième mesure, on introduit le II relatif à l’accord de degré V (il est ci-après ‘majorisé’ pour créer une suite d’accords de dominante, mais la plupart du temps c’est un accord m7)

Un Jazz-Blues, joué en 1940 par Charlie Christian, mérite qu’on s’y intéresse :

  • sans être exactement le canon de l’époque il est profondément Blues
    • une progression ‘ I . vi . ii . V7‘ pour démarrer le Blues
    • à la 4ème mesure, un passage par l’accord Majeur sur le degré IV
    • des ‘ii . V7‘ successifs aux mesures 9 et 10 en lieu et place d’un seul sur les deux mesures.
    • Un Turnaround original ‘ I –> IV –> I –> V7

un article est dédié aux 3 chorus que Charlie Christian à joué sur cette grille (suivre le lien)

Mainstream

La force harmonique des degrés I IV et V, à leur point d’ancrage dans la grille, autorise l’utilisation d’accords de dominante qui s’appellent les uns les autres.

On parte de ‘modulation irrésolue’ avec des effets dynamisant propres à ce style.

Tout naturellement, les Jazzmen pratiquant des arrangements harmoniques plus sophistiqués les ont introduits dans leur jeu du Blues :

  • devant un accord de Septième de dominante trouvant une résolution on peut mettre un degré ‘ii‘ relatif transformant le simple accord en progression ‘ii . V7
  • pour aller du degré I au degré V (sur 4 ou 2 mesures) on peut transformer la progression en ‘I . VI7 . ii . V7

A partir de là, on se rend bien compte que si le discours est cohérent et que la suite d’accords est logique harmoniquement, on peut, en dehors des points d’ancrage, prendre quelques chemins de traverse.

A ce stade d’évolution, la grille Blues est embrouillée mais structurellement conservée :

  • utilisation d’un ‘ii . V7‘ en mesure 4 vers le degré IV
  • descente du degré IV vers le degré V par des ‘ii . V7‘ à écart d’un demi-ton
  • Turnaround qui utilise des accords substitués tritoniquement.

D’autres embellissements et arrangements peuvent être créés entre les points d’ancrage harmonique :

  • descente chromatique d’accords Septièmes du I7 aux VI7
  • Montée du iim7 au V7 (accords diatoniques + accord de passage)

Bebop

A partir de 1940, à New York, les avancées harmoniques et l’expérimentation mélodique de quelques grands du Jazz mène le Blues dans une autre dimension : le Bebop.

Malgré des tempos élevés et des progressions harmoniques alambiquées leurs virtuosité fait toujours transparaître la trame du Blues.

Dans les débuts du style, le Blues-Bebop a gardé le mouvement des Fondamentales du Swing mais en utilisant des accords de dominante et en insérant de nombreux chromatismes et ‘ii . V7’.

Cette grille, moderne pour l’époque, est devenue aujourd’hui la norme du Jazz-Blues.

‘Toujours plus loin’ semble la devise des Bopeurs.

la grille suivante présente des nouveautés

  • en mesure 2, le IV7 retourne vers I7 en passant par un #IV°7 (montée chromatique F -> F# -> G)
  • la mesure 6 présente une progression backdoor pour aller du IV7 au I7
  • les mesures 8 à 10 forment une suite de ‘ii . V7’ dont les accords se suivent dans l’ordre des Quartes (E -> A -> D -> G)

De cette époque, une grille, quelque peu différente, mérite notre attention : ‘Billie’s Bounce’

On y relève des procédés harmoniques totaux que l’on trouve généralement dans les standards

  • aux mesures 7 et 8, une montée diatonique du degré I au degré iii, avec re-descente chromatique du iii au ii
  • une descente cliché sur l’accord mineur de degré ii
  • à la mesure 10, le traditionnel IV7 s’est transformé en ‘ii .V7‘ de la tonalité pour reconduire à l’accord de degré I final

D’un point de vue strictement Blues, on remarque qu’il n’y a pas de Turnaround sur les 2 dernières mesures (C »est au niveau du chorus que le retour vers I7 est exprimé)

Bebop variations

Avec un peu plus de complications se présente la grille suivante :

  • les mesures 1 à 6 restent dans les mêmes arrangements que précédemment bien que maintenant le ‘ii . V7’ introductif du IV7 s’étale sur les mesures 3 et 4.
  • mesure 6 est toujours une mesure de résolution ‘backdoor’ mais qui rencontre une substitution diatonique du I ( le iiim7) au lieu d’arriver sur I7.  Le iiim7 est également le ‘ii’ relatif du VI7.
  • mesure 8, l’accord de dominante (bIII7) est la substitution tritonique du VI7.
  • d’une mesure sur l’autre, à partir de la mesure 7 les accords se suivent à 1/2 ton d’intervalle par le jeu des substitutions tritoniques (un modèle du genre !)

En poussant le bouchon encore plus loin, on arrive à la grille suivante :

Avec un rythme harmonique de 2 accords par mesure (la plupart du temps des ‘ii . V7’), on arrive à des séquences particulièrement complexes dont la qualité musicale réside dans une bonne conduite des voix d’accords (voice-leading)

Il est important de dire, à ce stade, que les grilles présentées ne sont ‘pas gravées dans le marbre’.

Les idées contenues dans ces grilles peuvent être combinées.

Quand, en plus, on y rajoute les extensions d’accords on peut très vite créer une infinité de blues différents.

Bird Blues

Charlie Parker avec son ‘Blues For Alice’ nous emmène très loin du Blues des origines.

On peut mesurer avec ce ‘Bird Blues’ tout le chemin parcouru.

Ce Blues utilise une progression harmonique nommée ‘Parker Changes’ : une série de ‘ii . V7‘ qui conduisent de l’accord I Maj7 de la mesure 1, jusqu’à l’accord IV7 de la mesure 5.

Ces ‘ii . V7‘ descendent par ton entier et chaque accord de dominante est une dominante secondaire de l’accord suivant.

Après l’atterrissage sur le degré IV7 à la mesure 5, on rencontre une nouvelle série de ‘ii . V7‘ qui descendent cette fois par 1/2 ton :

              mesure 6                  mesure 7                    mesure 8                        mesure 9                mesure 10

Remontons le courant harmonique des dominantes de la mesure 10 à la mesure 6 pour expliquer la relation entre les différents accords de dominante :

  • mesure 10 : G7 est le degré V7 de la Tonalité
  • mesure 8 : Ab7 est la Substitution Tritonique de D7
    • D7 est la Dominante Secondaire du degré V
    • D est aussi le degré II de la Tonalité
  • mesure 7 : A7 est la Dominante Secondaire du degré II
    • A est degré VI de la Tonalité
  • mesure 6 : Bb7 est la Substitution Tritonique de E7
    • E7 est la Dominante Secondaire du degré VI
    • Bb est degré bVII de la Tonalité

Si, devant chacun des accords de dominante trouvés ci-dessus, nous mettons leur ‘ii‘ relatif, nous obtenons une descente de ‘ii . V7‘ par 1/2 ton.

Les deux dernières mesures forment une progression AnatoleI . VI7 . ii . V7‘ pour boucler vers le I Maj du début.

Tout les points d’arrimage harmonique du Blues sont respectés, mais le chemin qui permet de les atteindre est tortueux et escarpé : reste à faire un accompagnement convaincant et des chorus mélodiques (un vrai défi à relever).

 

Blues Majeur Swing Bop

Ce type de Blues est une forme où les degrés I et IV sont des accords ‘Majeur 7’ ou ‘6 9’.

Il n’est pas certain qu’il puisse encore être qualifié de Blues.

Certaines caractéristiques du Blues sont conservées :

  • les 12 mesures
  • le découpage ‘Question-Réponse’
  • le ‘ii . V7’ de la mesure 4 pour introduire le degré IV
  • le degré V7 en mesure 10
  • la cellule ‘Anatole’ pour le Turnaround des mesures 11 et 12

Mais le IV7 de la mesure 5 est manquant.

En lieu et place on y trouve le démarrage d’une cadence plagale courante dans les standards :

IV ∆ –> iv m –> I ∆

Un chorus sur ce type de Blues peut perdre le caractère Blues attendu par l’auditoire : le mélange mineur-Majeur caractéristique du genre.

Fichier pdf

Genèse et évolution grilles Blues.pdf

Epilogue

Le Blues est encore très vivant.

Tout un chacun peux s’inventer sa grille de Blues.

Les éléments harmoniques présentés ci-dessus sont utilisables aussi bien en accompagnement qu’en chorus.

Malgré ses nombreuses variations, le Blues reste un style unique avec une forte puissance émotionnelle qu’il soit joué avec 3 ou 25 accords.

Il faut en écouter le plus possible pour absorber connaissances et expériences sans pour autant se cantonner à notre instrument préféré.

Une réflexion sur “Genèse et évolution des grilles de Blues

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